Oliver Bonnard

 

 

 

Olivier Bonnard est journaliste, critique ciné et romancier.

Installé à Los Angeles depuis 2010, Olivier Bonnard est né en 1974 en banlieue parisienne, sous le signe du cancer ascendant Goldorak.
Enfant des années 80, enfant du rock, enfant de la télé, son expérience de journaliste et de critique ciné lui inspire Vilaine fille (Michel Lafon, 2011), un polar fantastique sur la machine hollywoodienne. Collector, qu'il présente comme un "thriller initiatique", entre DaVinci Code geek et Retour vers le futur made in France, est son deuxième roman.

Comprenez-vous que le lecteur puisse trouver Tom, votre personnage adulescent prêt à dépenser une fortune pour un jouet vintage, plus ou moins attachiant ?

Je le comprends parfaitement. Pénélope, la copine de Tom, incarne d’ailleurs ce point de vue dans le livre. Elle est extérieure au monde du toy. Elle ne perçoit pas ce que lui voit dans ces jouets, et ce malgré tout l’amour qu’elle lui porte. C’est difficile de vivre avec un addict, mais quelque part on l’est tous un peu, non ? À des degrés divers. Pour certains, c’est la clope. Pour d’autres, le sexe, ou le travail. Pour Tom, c’est les jouets. Il se shoote à sa propre enfance. C’est le mal du siècle, j’ai l’impression, pour les hommes de ma génération. Mais Tom est un addict « light ». Il a un bon job, une copine… Contrairement à son pote Alex, ce n’est pas un no-life. Quand il se retrouve en possession du premier des trois robots ArkAngel, tout bascule. Au contact du jouet, il se transforme. Lui qui se laissait dominer par Alex, prend le pouvoir. Lui qui se planquait derrière ses mèches de cheveux ou sa casquette, d’un coup, se redresse. Il commence à dire qui il est, ce qu’il veut. Ce comportement prédateur lui ressemble bien peu. Il est comme ces super-héros qui découvrent leurs super-pouvoirs tout neufs, et doivent apprendre à les maîtriser.

Au-delà de son adulescence, Tom est un héros très discutable, qui ment, vole, dérouille un enfant et drague sa propre mère ! Tout ça pour la bonne cause, mais quand même. J’aime les anti-héros. Mais il a la vraie qualité qui fait les héros, celle qui rachète tout : le courage. Il a compris que c’est en acceptant de se perdre, qu’on finit par se trouver. J’aime son jusqu’auboutisme. Et puis, les doux dingues flamboyants me semblent infiniment moins inquiétants que les gens qui n’ont pas de passions.

Votre personnage serait-il plus mélancolique que nostalgique ?

Sans doute, oui. D’ailleurs, je cite cette phrase de Victor Hugo, en exergue du bouquin : « la mélancolie, c’est le bonheur d’être triste ». On appelle ça le spleen également, non ? Comme le dit Tom quand, de retour en 1985, il s’aperçoit que la réalité ne correspond pas au souvenir qu’il en avait, « la nostalgie, c’est le regret de ce qu’on a connu ; moi, je regrettais ce qui n’avait jamais été ». Le problème de Tom, ce n’est pas qu’il rumine le passé ; c’est qu’il le fantasme comme idyllique. En bon aspirant écrivain, il réécrit l’histoire.

Est-ce difficile de quitter l’enfance ?

Je ne peux pas parler pour les autres, mais pour moi, oui, assez ! Et ça m’interroge d’autant plus que, si j’estime avoir eu une enfance plutôt heureuse, tout n’était pas rose, loin de là. Tom pointe ce paradoxe, dans le livre. Il se demande pourquoi il n’arrive pas à se défaire de son enfance, pourtant assez traumatisante par certains aspects ; tandis que Pénélope, enfant unique choyée par deux parents aimants et toujours ensemble, a les deux pieds solidement plantés dans le présent. Encore une fois, je crois que c’est une question de nature. Tom est mélancolique, insatisfait, inquiet. En un mot, c’est un artiste.

Mais peut-être l’a-t-il quittée trop tôt, justement, son enfance ? Il pensait l’avoir semée, laissée sur place, en banlieue. Mais voilà qu’elle le rattrape par le col, sous la forme de cette collection de jouets envahissante. Tom, au début du récit, se voit comme une espèce de self-made-man qui a réussi à s’extraire de sa condition, de son monde – la petite classe moyenne qui peut se payer des vacances à la plage, mais pas aux sports d’hiver. Il est monté à Paris, s’est fait un petit nom dans la presse culturelle, voyage, fréquente l’intelligentsia… Mais il s’est construit sur du sable. Vous pouvez courir aussi vite, aussi loin que vous voulez : tôt ou tard, les fantômes du passé viennent demander des comptes.

Votre roman entremêle les genres : thriller, psycho, humour, fantastique. Etait-ce un choix dès le départ, ou est-ce que cela est venu au fil de l’écriture ?

C’était déjà le cas de mon premier roman, Vilaine fille, qui commençait comme un polar pour déraper vers le fantastique. Personnellement, je ne raisonne pas en termes de genres. C’est l’histoire et les personnages qui me dictent la forme du récit. Je les suis là où ils m’emmènent. Pour moi, Collector est un récit initiatique. On peut le voir comme une odyssée intérieure, une introspection, mais racontée à la façon d’un thriller. Question de politesse vis-à-vis du lecteur, à qui je ne vais pas jeter mes petits problèmes au visage, comme ça, à plat, sans les avoir transformés en… autre chose. Le thriller, c’est pour ainsi dire ma langue maternelle. Le suspense, les twists, les cliffhangers, c’est ce que je recherche comme lecteur ou spectateur, et c’est ce qui me vient naturellement comme auteur. L’autre chose à laquelle je suis sensible, c’est l’allégorie. La fable, façon Twilight Zone. Richard Matheson est un de mes auteurs fétiches.

Est-ce un hommage au film Retour vers le futur ?

Plutôt une variation dark et tordue sur le même thème. L’ombre du film plane sur tout le bouquin, dès la première page, puisque je cite Doc Brown. Il y a même une mise en abyme quand Tom, apercevant une affiche du film sur les Champs-Élysées, affirme que c’est un chef-d’œuvre alors qu’il n’est pas encore sorti. C’est un clin d’œil à la scène du film où Marty, alors que toute la famille de Lorraine est réunie devant le poste, annonce ce qui va se passer alors que c’est du direct. Ça m’amusait. Et puis, le livre a failli s’intituler 1985, l’année de Retour vers le futur. Je ne pense pas que le film soit un chef-d’œuvre, contrairement à Tom, qui manque un peu de recul. Mais c’est un film qui m’obsède, et qui m’accompagne depuis longtemps. Je l’ai découvert en K7 vidéo, à l’âge de 12 ou 13 ans, et je ne m’en suis jamais remis. Il y a eu d’autres films structurants, comme E.T., Poltergeist, ou Stand By Me. Ces films, bien qu’américains, reflétaient la vie que je connaissais : celle d’un môme de banlieue toujours prêt à enfourcher son bicross, à construire des cabanes dans les arbres, à partir à l’aventure. Mais Retour vers le futur a une place à part. Peut-être parce qu’il y est question de voyage dans le temps.

Cela dit, je ne vois pas Collector comme un simple Retour vers le futur made in France, pour moi. C’est même une espèce d’anti-Retour vers le futur, si l’on veut. Le film de Zemeckis est une comédie familiale qui consacre cette idée très américaine que l’individu maîtrise son destin ; Collector est un récit de désillusion, au terme duquel le héros fait la paix avec son passé, faute d’avoir pu le changer.

Quels souvenirs avez-vous de 1985, l’année de référence pour Tom ?

Mon passage en sixième, dans un collège de banlieue où les profs se faisaient taper dessus par les élèves. Les échappées belles à travers les champs de maïs, où on avait aménagé un quartier général. Le goûter avec mon petit frère devant Cobra ou Jayce et les conquérants de la lumière. La première diffusion télé de la série V, sur Antenne 2, un lundi soir de septembre, et les discussions passionnées sur les hommes-lézards dès le lendemain dans la cour de récré. Rocky IV au ciné avec mon père…

Etes-vous collectionneur vous-même ? Quels sont vos jouets de prédilection ?

Oui, je collectionne les jouets de mon enfance, écrire Collector ne m’a pas guéri de ça. Le jouet auquel je tiens le plus ? Sûrement le petit Goldorak die-cast de Mattel, avec sa soucoupe en plastique, ou encore le mannequin grande taille de Z6-PO. Ils font partie des premiers jouets que je me souvienne avoir eus, gamin. Mais il y a plein d’autres gammes que j’affectionne : Capitaine Flam, Ulysse 31, Il était une fois l’espace, les Mondes engloutis, Big Jim, les Maîtres de l’univers… Un de mes graals, qui se refuse à moi obstinément : le Roller Sky d’X-Or en boîte française, celui-là même que Tom décroche aux enchères dans la scène d’ouverture du bouquin. Elle sert à ça, la fiction : à réparer les torts que nous cause la réalité.


Agenda :

Cannibales lecteurs avec Olivier Bonnard, auteur de Collector

Bibliothèque des Capucins

Samedi 7 janvier à 10h

Public adultes et adolescents dès 13 ans

Entrée libre