| Maîtresse de conférences en sociologie, agrégée de lettres classiques, Christine Détrez a soutenu, en 1998, une thèse de doctorat de sociologie consacrée aux pratiques de lecture des adolescents. Elle enseigne aujourd’hui à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Elle est l’auteure, entre autres, de Quel genre ?, de Les femmes à l'épreuve du nouvel ordre moral, de La construction sociale du corps, et Et pourtant ils lisent ! avec Christian Baudelot et Marie Cartier.
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Comment définiriez-vous le genre en quelques mots ?
On pourrait dire que c'est la façon dont la culture organise les relations entre les sexes, entre les hommes et les femmes, la façon dont elle définit ce que doit être un homme et ce que doit être une femme. C'est un système de bipartition qui en plus, est hiérarchisé : le genre renvoie également aux relations de pouvoir, de domination, avec le concept de « domination masculine ».
Le genre est-il différent du sexe biologique ?
Oui. Dans un premier temps des études de genre, on a pu dire que le sexe renvoyait à ce qui était biologique, et le genre au social. Ce serait la différence entre mâle/femelle et masculin/féminin par exemple. C'est à cette distinction là que renvoie Simone de Beauvoir quand elle dit « on ne naît pas femme, on le devient ».
Le genre et la sexualité sont-ils déconnectés ?
Oui, tout fait. Le genre est un système de relations, qui explique les rôles qui sont assignés, mais cela est vrai dans le domaine du travail, dans celui de la famille, de la politique, et aussi de la sexualité : ce n'est qu'un exemple parmi d'autres des effets du système de genre, de l'imposition de rôle, et aussi de rapports de pouvoir entre les individus. Certain-e-s chercheur-e-s en études de genre étudient la sexualité, d'autres pas du tout.
En quoi le genre est-il une construction sociale ?
Parce qu'il est le produit de la culture, de la société, et non pas de la biologie ou de la nature. Une des façons de comprendre cette dimension est de comparer les définitions du « masculin » ou du « féminin » selon les époques ou selon les endroits de la planète ; on peut trouver toutes les situations, et des éléments qui nous semblent « évidents » perdent alors de leur caractère universel... et naturel.
La construction du genre sous-entend-elle une hiérarchie ?
Comme je le disais, le genre doit être compris comme un système de bipartition hiérarchisé. Dans un tel ordre du monde, il n'y a que deux catégories (hommes/femmes) et elles sont hiérarchisées. C'est ce que Pierre Bourdieu appelle la domination masculine, ou Françoise Héritier la valence différentielle des sexes. Cette notion renvoie à cette constatation que tout ce qui est rattaché au masculin est toujours valorisé : les métiers d'homme, les traits de caractère que l'on associe aux hommes ou aux garçons (dynamisme, ambition, compétition, courage...). Mais attention, la domination masculine s'applique aussi aux hommes : les garçons l'apprennent à leur dépens, quand par exemple on leur dit qu'un garçon ne pleure pas, que la danse, ce n'est pas un truc de garçon, ou que tel ou tel métier (par exemple s’occuper d'enfants), c'est plutôt pour les filles.
Ceux et celles qui sortent de la norme sont-ils condamnés à être stigmatisés ?
Oui. Pour une fille, on va parler de « garçon manqué », mais pour un garçon, on va tout de suite recourir au lexique de l'homosexualité. Quand je dis « on », ce sont les copains, mais aussi les parents, les adultes, etc. Cela nous alerte d'une part sur l'homophobie de notre société, mais aussi sur cette confusion entre genre et sexualité, que l'on évoquait tout à l'heure. Cela se voit dans les pratiques culturelles, où quand un garçon déclare vouloir faire de la danse, ou vouloir une poupée, et donc manifeste des goûts associés à l'autre genre, il y a le soupçon d'une sorte de « contamination » qui aurait des effets sur l'orientation sexuelle. Pour les filles, c'est peut-être moins violent au niveau des pratiques culturelles, mais il suffit de voir les remarques sexistes qui continuent à pleuvoir sur les femmes qui, par exemple, font de la politique pour s’apercevoir que pour elles non plus, il n'est pas simple de pénétrer dans les bastions masculins.
Agenda :
90 minutes avec… Christine Detrez, auteure et sociologue
Bibliothèque Simone-de-Beauvoir
Samedi 4 juin 2016