Jacqueline Costa-Lascoux

Jacqueline Costa-Lascoux est Directrice de recherche au CNRS, associée au centre de recherche de Sciences Po Paris. Elle nous rappelle l’importance de la laïcité, garante de nos libertés.   

 

Laïcité, une culture du partage

La laïcité est l’objet de polémiques, le mot même est utilisé dans des sens contradictoires. Or, les atteintes à la laïcité sont préoccupantes. A l’école, à l’hôpital, dans les loisirs, les espaces publics, certaines pratiques religieuses créent des conflits. Face à ces réalités, il y a urgence à faire vivre la laïcité.

Un principe et des actes

Principe constitutionnel, la laïcité signifie l’autonomie du politique et du religieux, avec ses corollaires : la séparation des Eglises et de l’Etat, l’indépendance de la citoyenneté, de la confession, l’émancipation de la loi civile de la loi religieuse, la neutralité du service public (l’Etat ne privilégie aucun culte), la distinction entre espace public et sphère privée. Rien n’est plus limpide et cohérent, mais comme un cristal frappé par de multiples rayons, la laïcité reçoit une pluralité de demandes spécifiques.

La transparence structurelle de la  laïcité tient à une idée fondatrice : l’égale dignité des personnes. Fondée sur la Déclaration de 1789, la laïcité garantit les libertés de conscience, de culte, d’opinion, d’expression et l’égalité de traitement des citoyens indépendamment de leur religion. Ce qui suppose une règle, réaffirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme, la conciliation des libertés (« ma liberté doit tenir compte de la tienne »). Vouloir imposer à tous un dogme ou des interdits nuit aux droits d’autrui.

Etayée par une jurisprudence abondante, la laïcité accueille la pluralité des expressions religieuses (lieux de culte, cimetières, aumôneries, fêtes). Mais elle est aussi une méthode. Elle favorise l’esprit critique, par le débat d’idées, la connaissance scientifique et la création sans censure idéologique. En même temps, elle met en œuvre une éthique de la responsabilité attachée à la liberté du choix. Ainsi, en encourageant le respect de l’altérité, la laïcité fait avancer la démocratie.

 Des oppositions mensongères

Pour ses opposants, la laïcité est une exception, un mot intraduisible. En vérité, une idée naît dans un pays et peut devenir universelle, comme l’Habeas corpus, né en Angleterre ou la démocratie à Athènes. Le premier pays qui a introduit la laïcité est le Mexique et une douzaine d’Etats en ont adopté le principe. Le mot «laïcité» vient du grec Laos, le «peuple», distinct de l’élite religieuse qui avait autrefois le pouvoir (les clercs). Depuis le XIXe siècle, le terme «laïque» désigne celui qui se réclame de la laïcité. Ce n’est donc pas le mot qui dérange, mais l’idée.

L’un des grands malentendus sur la laïcité repose sur la confusion avec  l’athéisme. C’est un contresens. La laïcité assure la liberté de croire, de ne pas croire et de changer de religion: il n’y a ni crime de blasphème ni d’apostasie dans une République laïque. Elle permet la critique des idées, mais protège les personnes de la diffamation ou de l’injure. Le large éventail des œuvres inspirées par la religion montre la liberté de création dans une société laïque.

Enfin, certains disent que la laïcité discriminerait les cultes récemment implantés en France, notamment l’islam. Or, depuis la loi de 1905, les religions sont traitées à égalité et si les plus « anciennes » possèdent un patrimoine culturel, celui-ci fait partie d’un bien commun accessible à tous. Et si on observe des attitudes discriminatoires ou racistes, il s’agit de les traiter comme telles, des délits punis par la loi.

Une démarche citoyenne

La démarche laïque fait droit à la diversité des convictions. Certaines, cependant, peuvent heurter d’autres sensibilités. Comprendre le sens d’une demande religieuse est essentiel, mais il s’agit aussi d’entendre la perception que les autres en ont (tel signe peut sembler légitime à l’un, alors qu’il est, pour d’autres, le symbole de persécutions). La laïcité va au-delà de la juxtaposition des différences, elle crée du lien par le respect des droits fondamentaux, tels les droits de l’enfant ou l’égalité femme/homme. Pour cela, elle s’accompagne d’une culture du partage : on écoute la parole de ceux qui veulent exprimer leur singularité, on favorise l’échange et s’il y a problème, on met en œuvre des modes de régulation en définissant les obligations réciproques. Lorsque les moyens de médiation sont épuisés, la sanction des atteintes à l’intérêt général peut être envisagée. Il faut donc accepter de nommer, identifier, débattre, déterminer les conséquences des paroles et des actes, savoir se remettre en cause (l’autre a peut-être raison) et faire des projets communs. Cela suppose de sortir des logiques communautaires et des vérités absolues pour construire, sur la confiance, une citoyenneté en perpétuel mouvement.